L’esprit de l’aïkido – Kisshômaru Ueshiba

En ces temps de confinement et d’abstinence forcée de la pratique, cette préface de Kisshomaru Ueshiba (7 juin 1921-4 janvier 1999) dans son livre L’esprit de l’Aikido – Le véritable sens de la pratique, écrit en 1981, (traduction de l’anglais en 1998 par Josette Nickels-Grolier 6e dan DE) me paraît bien d’actualité…

« Le développement actuel de l’aïkido à l’échelle mondiale est tout à fait impressionnant. Le nombre de pratiquants de par le monde dépasse aujourd’hui le million et la fédération internationale est plus importante que jamais. La raison de cet engouement réside dans l’aïkido lui-même qui propose, au travers de ses principes et de la pratique, la forme d’art martial la plus évoluée que la tradition culturelle japonaise ait engendrée, tant du point de vue esthétique que spirituel.

L’aïkido manifeste la réalité la plus parfaite : le mouvement naturel, fluide et spontané, riche de la puissance inégalée du ki. Par un entraînement physique et mental rigoureux, son ambition est de forger un être humain idéal unifiant corps et esprit pour atteindre la vie dynamique dans le mouvement comme dans l’immobilité. La spiritualité de ses principes fondamentaux et le rationalisme de sa démarche sont à l’origine du renom international de l’aïkido.

L’époque moderne est marquée par un développement impressionnant des sciences et des technologies. Dans une société devenue essentiellement matérialiste, l’esprit humain, en perdant ses repères, se trouve confronté à l’incertitude et à l’insécurité, cette psychose étant entretenue par la menace d’un holocauste nucléaire qui place l’humanité au bord du gouffre.

Comment l’aïkido pourrait-il ne pas séduire alors que nous nous trouvons aujourd’hui confrontés à une déshumanisation radicale ? Au travers de la pratique, chaque individu, quels que soient son âge, son sexe ou ses capacités physiques, se voit offrir l’opportunité d’unifier le ki universel, principe fondamental de la création, et le ki  individuel, qui se manifeste au travers du souffle-énergie. Cette union est source d’une vitalité qui non seulement comble le vide spirituel mais donne aussi à la vie quotidienne sa substance et sa raison.

À l’origine, les arts martiaux japonais visaient la seule victoire sur les champs de bataille. Mais le plaisir de la victoire est de courte durée. On peut se réjouir d’une bataille gagnée, mais ce n’est jamais la victoire absolue. Il semble contradictoire de consacrer toute une vie à un entraînement rigoureux lorsque l’enjeu est aussi éphémère.

Cette contradiction est à l’origine de l’apparition du budô (la voie des arts martiaux), son expression la plus moderne étant l’aïkido. Fondé sur le principe de non-opposition, l’aïkido ouvre le chemin de la victoire absolue. La non-opposition signifie que les instincts agressifs, combatifs et destructeurs de l’individu vont être détournés pour devenir une force d’amour créative. Cette philosophie prend toute sa signification dans la pratique d’un art martial, pour devenir l’essence même du budô.

Du fait du développement rapide de l’aïkido dans le monde, nous ne sommes pas assurés que la philosophie de notre art se transmette toujours de façon satisfaisante au travers des pratiques. Bien que nous soyons heureux de l’internationalisation de l’aïkido, il serait tout à fait regrettable que cet engouement éloigne les pratiquants des principes philosophiques et des idéaux du fondateur, Maître Morihei Ueshiba. Aussi est-ce pénétrés de cette profonde responsabilité que nous oeuvrons pour préserver l’esprit de l’aïkido.

La traduction de mon livre, Aikidô no kokoro, paru en anglais sous le titre  The Spirit of Aikidô, par le professeur Taitetsu Unno du Smith College, pratiquant de longue date, est arrivée à point nommé. L’édition japonaise avait été publiée en 1981 pour commémorer le cinquantième anniversaire de l’Aikikai-Aikidô Hombu Dôjô. Ce livre fait référence à des pratiques et des croyances traditionnelles en Asie qui peuvent paraître un peu abstraites pour des occidentaux. Mais j’espère que le principe fondamental d’une vie dynamique fondée sur l’unité du ki universel et du ki individuel pourra être pleinement compris au travers de l’entraînement de la pratique.

Mon souhait est que ce petit ouvrage soit profitable aux pratiquants d’aïkido, mais je serais également heureux que les lecteurs en général y découvrent que l’aïkido est une forme d’art sophistiquée, apportant sa contribution non à la violence mais à l’harmonie dans le monde.

KISSHOMARU UESHIBA

Doshû de l’Aikikai-Aikidô Hombu Dôjô »

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.